B) Physiopathologie :

L’hydrops endolymphatique ou distension du labyrinthe membraneux, a été observé pour la première fois, et simultanément, en 1938 par Hallpike et Cairns en Angleterre et par Yamakawa au Japon, sur des os temporaux de patients atteints de maladie de Ménière. Cette donnée anatomo-pathologique a été, ensuite, mise en évidence dans plusieurs autres affections de l’oreille interne, tels le syndrome de Cogan, la syphilis congénitale, les labyrinthites primitives ou secondaires à des affections otitiques [Paparella 1984, Schucknecht et Gulya 1983]. C’est dans la maladie de Ménière que les observations les plus nettes ont été effectuées et il est communément admis que l’hydrops endolymphatique constitue le stigmate histopathologique majeur de cette affection [Morgon et coll. (62)].

L’hydrops ou l’hyperpression endolymphatique peut résulter soit d’une hypersécrétion, soit d’une réabsorption insuffisante du liquide endolymphatique [Horner et coll., Tran Ba Huy et coll.(39, 94)].

L’hyperproduction d’endolymphe peut résulter de trois phénomènes :

                 I)         Une élévation de la pression hydrostatique dans le segment artériel de la strie vasculaire entraînant une augmentation de la fuite liquidienne du réseau capillaire vers la scala media, ou une diminution de la pression oncotique plasmatique réduisant le retour veineux.

II)     Une stimulation exagérée du processus de sécrétion.

III)    Une augmentation de la pression osmotique endolymphatique par accumulation de débris cellulaires ou de macromolécules hydrophiles (par une perte de la fonction phagocytosique du sac endolymphatique, ou par un déficit en hyaluronidase).

Le déficit de réabsorption de l’endolymphe résulterait d’un dysfonctionnement du sac endolymphatique. Le sac joue un rôle dans 3 fonctions essentielles [Morgon et coll. (62)] :

                  1)                   La réabsorption de l’endolymphe : selon la théorie longitudinale (Guild 1927), l’endolymphe est produite par la strie vasculaire dans la cochlée et s’écoule à travers le ductus reuniens vers le saccule puis le sac endolymphatique où elle est réabsorbée.

                 2)                   La régulation pressionnelle : situé dans un dédoublement de la dure-mère, au contact direct des espaces sous-arachnoïdiens, il transmet par l’aqueduc du vestibule, simultanément, aux espaces endolymphatiques les variations de pression intracrâniennes (House 1965). Ces variations de pression sont aussi transmises aux espaces périlymphatiques par l’intermédiaire de l’aqueduc cochléaire. Ainsi, les deux faces des structures sensorielles sont-elles soumises aux mêmes variations de pression.

                3)                  L’immunodéfense de l’oreille interne : la fonction immunologique du sac a été suggérée sur la base de nombreux arguments : riche réseau lymphatique et vasculaire avec capillaires fenêtrés dans la région périsacculaire lui conférant toutes les capacités structurales d’un organe immunitaire ; présence de cellules immunocompétentes et notamment de lymphocytes T ; mise en évidence d’une coopération fonctionnelle entre lymphocytes et macrophages ; identification d’Ig libres ou liées dans l’épithélium ; démonstration d’une réponse immunitaire à une stimulation antigénique avec élévation du taux périlymphatique d’anticorps. Ainsi, le sac pourrait-il épurer le labyrinthe des protéines ou molécules étrangères, virales, bactériennes ou autres.

                L’atteinte du sac peut être secondaire à une atteinte embryonnaire, génétique, infectieuse, traumatique ou autre.

L’hydrops affecte d’abord le canal cochléaire et le saccule, puis force la valvule utriculo-endolymphatique, et s’étend à l’utricule et aux canaux semi-circulaires.

 

Modèle expérimental :

        De nombreux procédés expérimentaux semblent avoir réussi à induire un hydrops endolymphatique chez l’animal [Morgon et coll. (62)]. Mais c’est par l’oblitération chirurgicale du sac et du canal endolymphatique que les résultats les plus constants ont été observés. Le principe de cette oblitération découle du rôle attribué au sac et au canal endolymphatique dans la réabsorption de l’endolymphe.

       Schématiquement, trois phases peuvent être distinguées dans le développement de l’hydrops endolymphatique (d’après Horner et coll. 1989), après l’oblitération du canal endolymphatique chez l’animal (fig. 1) :

       1.                   Première phase  (moins de 6 semaines) : durant cette phase, l’hyperpression serait compensée par les propriétés mécaniques de la membrane de Reissner. La pression endolymphatique reste ainsi normale, la distension de la membrane de Reissner est modérée (fig.1 B), et il s’installe une surdité fluctuante sur les fréquences graves. La composition électrochimique de l’endolymphe est conservée.

       2.                   Deuxième phase (de 6 à 9 semaines) : la distension de la membrane de Reissner devient importante (fig.1 C). une hyperpression apparaîtrait dans le canal cochléaire, la surdité sur les fréquences graves devient stable et il apparaît une perte sur les fréquences aiguës. L’endolymphe présente une composition uniforme le long de la cochlée et est diluée. Les gradients baso-apicaux sont dissipés.

       3.                   Troisième phase (24 semaines) : cette dernière phase est caractérisée par une distension maximale de la membrane  de Reissner (fig. 1 D) et une surdité stable en plateau. L’hyperpression serait plus nette. Le potentiel endocochléaire reste diminué, les gradients électrochimiques baso-apicaux sont toujours dissipés, alors que l’endolymphe est à nouveau concentrée. Ceci témoigne du maintien de la sécrétion de l’endolymphe.

Implications cliniques :

                  Les symptômes de la crise résultent d’une variation brutale ou progressive de la pression endolymphatique avec plusieurs conséquences possibles :

                    I.                        Rupture du labyrinthe membraneux et intoxication potassique : provoquant une intoxication potassique des structures neuro-sensorielles.  Cet excès brutal de K+ dans les rampes périlymphatiques et/ou dans la périlymphe de la citerne vestibulaire affecte directement soit la synapse neuro-sensorielle, soit la fibre nerveuse elle-même qui baigne dans la citerne vestibulaire.  Il en résulte une dépolarisation qui, d’abord, augmente la fréquence des potentiels d’action, puis les bloque.  Sur le plan clinique,  ce phénomène se traduit par un vertige avec  nystagmus battant  d’abord vers l’oreille malade (nystagmus irritatif),   puis,    quand  la concentration  de K+  dépasse les 20 mmol/l, vers l’oreille saine (nystagmus destructif), enfin, lorsque l’excès de K+ est épuré, à nouveau vers l’oreille malade (nystagmus de récupération), avant de disparaître. Ensuite survient la cicatrisation de la fistule autorisant la reprise du processus de distension et de rupture. A un stade avancé, le labyrinthe membraneux présente des déformations permanentes avec des plages de tissu fibreux dense, stigmate des multiples processus de fistulisation et de cicatrisation intervenus au cours de l’évolution de la maladie. Ces connexions fibreuses assurent la transmission des stimuli mécaniques entre les différentes structures vestibulaires qu’elles relient, et notamment entre platine de l’étrier et les structures vestibulaires. Ainsi s’explique le classique signe d’Hennebert retrouvé initialement chez les malades atteints de syphilis congénitale (Hennebert 1911).  Schuknecht (1976) et Nadol (1977), constatent ensuite la présence de ce signe chez certains patients atteints de maladie de Ménière. C’est un signe de fistule sans fistule : la compression digitale du conduit auditif externe provoque un vertige avec nystagmus [Maire et coll. (52)].

            Les objections évoquées à cette théorie de l’intoxication potassique par rupture membraneuse sont : a) les ruptures sont loin d’être toujours retrouvées sur rochers humains ; b)  le processus distension-rupture-cicatrisation suppose un certain délai difficilement compatible avec la répétition des crises, parfois pluriquotidiennes ; c) les dosages effectués sur prélèvements de liquides labyrinthiques humains ne montrent pas de concentration potassique significativement élevées dans la périlymphe.

                  II.                        Augmentation de la perméabilité du compartiment endolymphatique : soit par une altération des jonctions intercellulaires, soit par l’ouverture de canaux ioniques membranaires sensibles à l’étirement (strech activated). Cette perte d’étanchéité électrochimique induit une fuite de K+, qui, en raison du gradient électrochimique, s’effectuerait en direction des espaces périlymphatiques.

                III.                        Altération du découplage mécanique stéréocil-membrane tectoriale : les variations pressionnelles ou les modifications de structure et de position de la membrane tectoriale provoquent une modification de la micromécanique cochléaire et de la transduction avec altération de la motilité des stéréocils de la cochlée, des macules et des crêtes vestibulaires. Ces altérations seraient, au stade de début de la maladie, à l’origine de la surdité et des acouphènes, ainsi que des modifications permanentes des constantes électrophysiologiques objectivées par l’électrocochléographie.

                IV.                        Forçage de la valvule utriculo-endolymphatique, qui protège le compartiment vestibulaire, induit une stimulation directe des structures vestibulaires sensibles au mouvement. Les mouvements liquidiens ampullopètes secondaires à l’augmentation brutale de pression se propagent plus rapidement dans les étroits canaux semi-circulaires que dans les vastes cavités utriculaire ou sacculaire. Une baisse de pression induit, à l’inverse, un mouvement ampullifuge. Ces données expliqueraient, aussi,  les changements de direction du nystagmus lors d’une crise.

 

 

SUITE